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« Qui veut aller loin ménage sa monture »

Prologue

Nuit de Jeudi à vendredi
Réveillé à plusieurs reprises par la pluie qui tombe et par le bruit de l’eau qui vient grossir le flux de la rivière à proximité de notre logement, mon cerveau ne peut s’empêcher de se poser quelques questions sur le déroulement de cet ultra trail qui va débuter d’ici quelques petites heures…

Course

Vizille, altitude 282m

Vendredi 19 août 2022, 5h40
En place, si l’on peut dire, dans le sas de départ, je me protège de la pluie sous un arbre avec d’autres concurrents. Les deux premières vagues de traileurs sont partis à 5h puis 5h30. Le speaker qui a pas mal d’humour tente de mettre l’ambiance mais ce n’est pas chose aisée avec ces conditions météorologiques. Un dernier baiser à ma petite femme qui se positionne plus loin afin de me voir passer après le départ.

6h, le départ est donné !
Notre dernière vague s’élance à l’assaut de cette 10ème édition de l’Échappée Belle sous une bonne pluie. Très rapidement, chacun se retrouve dans sa bulle et doit se demander à quelle sauce il va être mangé aux vues des conditions climatiques qui nous attendent. Quelques kilomètres sur le plat entre chemins et bitumes finissent par laisser place à un profil plus montant. Je me remémore les conseils du coach : rester sur un rythme de “seuil 1” et ne rien tenter de plus rapide même en début de course. Conseils pleins de sagesse compte tenu du programme des réjouissances. J’en profite pour sortir mes bâtons à trois brins, et déjà, je dois batailler avec un ergot qui ne veut pas se mettre correctement en position et permettre au bâton de rester déplié. Et pourtant, ce n’est pas faute d’avoir vérifié quelques jours avant le départ… A force de persévérance, le récalcitrant finit par obtempérer.

Question hydratation et alimentation (qui me posent souvent problème), toujours sur les conseils avisés du coach, je vais tenter d’appliquer et de respecter la stratégie suivante : chaque 10 minutes en alternance, deux gorgées d’eau plate, deux gorgées de boisson avec de la maltodextrine. Ce qui donne, à la 10e, 30e et 50e minute de chaque heure, 2 gorgées d’eau plate. Chaque 20e, 40e et 60e minute, deux gorgées de “malto”. Concernant l’alimentation, une petite collation à la 30e et 60e minute de chaque heure, avec au choix, soit :

    • une ½ barre énergétique,
    • un ½ gel énergétique,
    • une à deux bouchées de sandwich maison,
    • une ½ compote
    • une ou deux bouchées de purée de patates douce.

En complément, sur chaque ravito, une soupe, un morceau de banane et quelques grignotages. Ce programme devrait me permettre de ne pas me retrouver avec de gros coups de mou et va m’occuper pour les plus de 40 heures à venir…

La pluie se fait plus discrète, le jour se lève peu à peu, sous un ciel bien lourd ne nous laissant pas apercevoir le soleil. Je peux désormais ranger ma frontale qui me servira à nouveau pas plus tard que la nuit prochaine.

Les kilomètres défilent peu à peu, lorsque je rejoins Xiril, un traileur du pays basque avec qui je prends le temps d’échanger. Il me parle d’une course plus exigeante que l’Echappée Belle, la PicaPica de 109k pour 11500d+, preuve en est le ratio km/d+ qui est encore plus important. Course qu’il a terminée. Il a également participé à des courses bien plus difficiles, dont un équivalent à la PTL (dont je ne me souviens plus du nom) une course de 300k pour 25000d+ qui se déroule en équipe et dont il est également finisher. Un sacré beau palmarès à son actif !

Mais voilà que se présente à nous le premier ravitaillement.

Arselle, altitude 1627m, vendredi 8h43

Temps de course : 02:41:58
Distance depuis le départ : 16,7k
D+ depuis le départ : 1537m
Classement : 152

Et, par le plus grand des hasards, j’ai 23 minutes d’avance sur mon roadbook .
Ma moitié n’est donc pas encore arrivée. Aucun problème, j’en profite pour me délecter d’un bol de soupe chaude et bien salée ! quelques petits grignotages de ci de là. Puis direction le remplissage des flasques, alors que ma petite femme vient de me rejoindre, un doux baiser au passage. Elle s’inquiète pour moi, mais tout va bien, j’ai bien géré ces premiers kilomètres, le dénivelé positif ainsi que le cardio. Pour l’heure, il faut se remettre en route, ne pas trop se refroidir car justement le vent s’invite à la fête, les bénévoles nous incitant à nous couvrir davantage car plus haut, les températures sont en berne.
Je reprends donc ma route en direction du col de la Botte (1er Col) où je devrais y retrouver ma moitié, si la météo le permet.

Me voilà sur un tronçon fort sympathique, sur lequel avec ma petite femme, nous avons randonné en sens inverse, deux jours plus tôt, par une météo radieuse. Alors, certes point de soleil aujourd’hui, mais je suis tout de même content de faire ce parcours, plutôt ludique au demeurant, qui nous mène au Lac Achard avant de rejoindre le Col de la Botte par un beau profil montant.

Chemin faisant, un concurrent engage la conversation ayant identifié la casquette du Grand Raid. Il connaît bien, finisher à plusieurs reprises. Il a également à son actif un TOR des Géants (330K, 24000D+). Je n’ai pas osé lui demander son âge que j’estime à la soixantaine bien assise. Chapeau ! Plus rapide que lui pour le moment, je continue mon petit bonhomme de chemin à mon rythme.

Peu avant le Col de la Botte, je reconnais ma moitié qui m’attend un peu plus loin, quelque peu réfrigérée alors que le vent et le brouillard succèdent à la pluie. Une photo, un baiser et l’on ne s’attarde pas, nous nous retrouverons sur la base vie du Pleynet, ce soir. J’attaque la descente vers les Lacs Robert. La sente terreuse depuis le Col laisse place à de la roche bien glissante par temps sec, et qui avec la pluie tombée, l’est encore plus. Vigilance maximale pour ne pas chuter et se blesser maintenant. Les Lacs Robert passés, toujours en descente pour le moment, nous empruntons le GR en direction du Refuge de la Pra et bien que l’itinéraire soit un peu accidenté il est relativement aisé et bon pour le moral de cavaler sur ce parcours. J’ai bien fait d’en profiter car il nous faut déjà reprendre de l’altitude pour rejoindre le refuge.

Refuge de la Pra, altitude 2099m, vendredi 11h18

Temps de course : 05:17:08
Distance depuis le départ : 27,3k
D+ depuis le départ : 2391m
Classement : 218

8 minutes d’avance sur le roadbook, 5 minutes d’arrêt prévu au ravito. Les sympathiques bénévoles qui nous accueillent tout en scannant nos dossards nous indiquent que l’organisation a modifié le parcours et par conséquent nous ne monterons pas à la Croix de Belledonne compte tenu des conditions météorologiques défavorables. Et moi qui me faisais une joie d’y aller, c’est râpé ! En même temps avec ce brouillard et ce vent c’est plus raisonnable et de toute façon nous n’aurions pas pu admirer la vue étant donné qu’on n’y voit pas à 20 mètres… Alors j’en profite pour me sustenter d’une soupe chaude, d’un tronçon de banane bienfaiteur, de quelques noix de cajou, un carreau de chocolat et le temps de blaguer un peu avec les bénévoles, je reprends mon chemin en direction du Col de Freydane (2e Col, 544d+, 2645m).

Tous les voyants sont au vert, je me sens bien, j’ai un rythme convenable dans les sections bien escarpées, c’est parfait et j’espère que ça va durer…

Peu à peu, le vent se fait plus insistant, et l’ascension plus technique, avec par moment des portions sur des éboulis qui nécessitent de la vigilance : il faut jouer les équilibristes sur de la roche trempée.

Et puis, voilà que dans le brouillard j’aperçois, un peu plus haut, juste avant le Col, des membres du staff pour le pointage des dossards. Bien courageux, emmitouflés comme ils peuvent pour affronter ces conditions climatiques. Car, si pour nous traileurs, qui sommes en mouvement, avec le vent il fait plutôt froid, pour eux qui sont statiques, c’est une autre épreuve.
Je passe donc le pointage, alors qu’un membre de l’organisation m’indique que c’est une sage décision que de ne pas monter à la Croix de Belledonne et qu’en franchissant le Col, on va vite s’en rendre compte…
Effectivement, au franchissement du Col de Freydane, le vent souffle tellement fort que j’en perds presque l’équilibre, ma veste de trail pourtant fermée jusqu’au menton se gonfle de vent, me faisant ressembler à n’en pas douter à un “bibendum chamallow”

S’ensuit une descente vertigineuse et glissante à souhait nécessitant une concentration de tous les instants. Difficile d’augmenter mon allure dans ces conditions car chuter et atterrir avec l’arrière train sur de la terre passe encore mais sur de la caillasse c’est tout de suite moins marrant. Il conviendra d’être prudent afin de perdre plus de 700m de dénivelé négatif sur trois kilomètres et des poussières avant de reprendre un peu d’altitude pour atteindre le refuge Jean Collet.

Refuge Jean Collet, altitude 1933m, vendredi 13:36

Temps de course : 07:34:58
Distance depuis le départ : 38,4k
D+ depuis le départ : 3274m
Classement : 211

Pour le coup, je suis forcément en avance par rapport à mon roadbook dû à l’évitement de la Croix de Belledonne. Mon arrivée étant prévue pour 14h43, j’ai donc plus d’une heure d’avance, si on peut dire. J’ai prévu 10 minutes de pause ravitaillement..
Encore hélas pour la superbe vue qui nous est offerte devant le refuge par temps “normal”, mais avec cette purée de pois tout est bouché ! J’entre dans le refuge pour me consoler avec le ravitaillement. Un peu de réconfort ne fera pas de mal 😉
Et je commencerai par une soupe, s’il vous plaît, cher bénévole:)
Après m’être restauré et avoir fait le plein des flasques, je me remets en route et laisse passer une jeune traileuse pleine d’entrain. Ensemble, nous évoluons vers les deux prochains obstacles que sont le Col de la Mine de Fer (3e Col, 2400M) et la Brèche de Roche Fendue (4e Col, 2485m) sur une distance de 3,4k pour 560d+. J’engage alors la discussion avec Romane, cette jeune concurrente âgée de 27 ans. Je ne peux m’empêcher de penser à la chance qu’elle a de commencer si tôt. Au fur et à mesure, j’apprends qu’elle a déjà à son actif un sacré palmarès. Rien que sur 2022, elle totalise cinq courses dont l’Ecotrail Paris (80k), la Trans Aubrac (105k), le Pilatrail – Tour Des Crêts (42k) et aujourd’hui l’Échappée Belle Intégrale. Je n’en reviens pas ! A la question de savoir comment lui est venue l’idée de faire du Trail, elle répond que ses parents l’ont un jour inscrite à une course sur route et qu’elle a terminé complètement “cramée” mais première… Quelle bonne idée, ils ont eu ! Je suis pour le moins admiratif et finalement content de voir qu’il y a de plus en plus de jeunes qui se mettent à l’ultra endurance et notamment chez les féminines. De constater que les écarts entre hommes et femmes diminuent de plus en plus, les femmes ayant souvent plus d’endurance et de mental que les hommes…
Romane m’ayant laissé passer devant, peinant un peu dans la montée, se laisse distancer. Je continue à mon rythme en pensant que l’on aura certainement l’occasion de se croiser à nouveau plus loin, le chemin qui mène à Aiguebelle étant encore long…

Après 9h de course je passe la Brèche de roche fendue, le vent se faisant moins présent mais le brouillard toujours de la partie. Dans cet univers de cailloux, je cherche à distinguer les fanions oranges tout juste voyants à quelques mètres de ma vue lors de ma progression.

Echappée Belle - Après la Brèche de Roche Fendue

Bon, on repassera pour la vue…

Et puis, voilà enfin, qu’un rayon de soleil perce le brouillard. 15h20 passé, il était temps 🙂

Le yo-yo se poursuit sur un profil descendant de 5k, pour 138d+ et 838d- ou comme toujours, en pareilles circonstances, il faut rester attentif à sa pose de pieds afin d’éviter au mieux une entorse, au pire une blessure plus grave. Cette descente nous permet de rallier le ravitaillement de Habert d’Aiguebelle qui se veut sans pointage et où après m’être restauré selon ma “routine” de course, je ne m’attarde pas et repars d’un pas décidé à l’attaque du Col de l’Aigleton (5e Col, 2266m, 2,6k plus loin et 540d+ plus haut).

Comme souvent sur un Ultra Trail, on évolue fréquemment seul sur des distances plus ou moins courtes. J’aime aussi ces moments de solitudes, qui me permettent de me retrouver avec moi-même. J’ai alors du temps pour songer à ce qui me tient à cœur et notamment, je peux avoir une pensée pour les êtres aimés, ceux qui nous ont quittés bien trop rapidement, ceux qui se retrouvent avec de sévères handicaps. Je mesure alors la chance que j’ai de pouvoir vivre de telles aventures, d’évoluer sur ces chemins, au milieu de ces paysages. Même si aujourd’hui la météo est capricieuse, et malgré la difficulté de l’épreuve, je suis heureux d’être là et je ne donnerai ma place pour rien au monde.

Me voilà donc passé le Col de l’Aigleton, il me faut perdre 190m de dénivelé négatif sur un kilomètre avant d’enchaîner sur l’ascension du Col de la Vache (6e Col, 2534m, 457m plus haut). Alors que le brouillard se fait plus discret, le début de la montée laisse entrevoir un sentier inexistant, où les fanions indiquent tant bien que mal l’itinéraire à suivre en évoluant sur de belles roches, des éboulis en taille XL. Au fur et à mesure de la progression, la pente se faisant plus raide, la pierre se fait plus petite. Je distingue, là où je pose mes pieds, par endroit, des petites billes de grêles, vestiges du temps pluvieux survenu bien plus tôt dans la journée.
Oh la vache ! Ce col porte bien son nom, il m’aura donné pas mal de fils à retordre

Dans ces montagnes russes, chaque franchissement de col est une joie en soi, et laisse place à une descente plus impressionnante que la montée, et bien que cela semble demander moins d’effort, il faut en réalité redoubler de vigilance. Prudence donc, lorsque j’entame la première partie bien raide, en direction du Pleynet (11,4k, 204d+, 1295d-), qui s’adoucit peu à peu alors que le sentier nous fait longer le lac du Cos, le lac de Cottepens, le lac de la Motte, le lac Carré et le lac Noir, avant de reprendre un pourcentage de pente plus élevé.

Avec la perte d’altitude, la température augmente en cette fin d’après-midi. Alors que je rattrape quelques concurrents, nous apercevons au loin le Pleynet, notre prochain ravitaillement et base de vie. Cependant, il nous faudra être patient, le tracé nous fait la surprise de rester à flanc de montagne par une alternance de descentes et de montées, nous faisant contourner la vallée par la gauche au lieu de nous faire plonger dans le vallon pour remonter directement sur le Pleynet. Même si c’est quelque peu moralement usant, le fait de discuter avec d’autres traileurs fait que les kilomètres défilent relativement vites.

Entre chien et loup, il me faut déjà ressortir ma frontale histoire d’y voir quelque chose alors que je ne suis plus qu’à quelques encablures du Pleynet. L’animation sur la base de vie se fait plus présente et quelques groupes de spectateurs disséminés de ci de là félicitent chaque traileur au passage.

J’arrive à l’entrée de la base de vie, accueilli par les spectateurs et ma petite femme 🙂

Le Pleynet, altitude 1445m, vendredi 21:02

Temps de course : 15:01:33
Distance depuis le départ : 64,1k
D+ depuis le départ : 5218m
Classement : 177

J’avais prévu une arrivée à 22h52, j’ai donc 1h50 d’avance toujours dû en grande partie au parcours de repli. Sur cette base vie, j’ai prévu 1 heure d’arrêt, avec au programme : le remplacement de ma tenue, une sieste de 30 minutes, une restauration rapide, la mise à niveau de mon sac.

Je récupère tout de suite mon sac de délestage, et l’on m’indique un barnum pour se changer.
Pas évident de remplacer sa tenue dans ce confort très spartiate et exigu. Je trouve tant bien que mal un petit bout de banc au milieu des autres traileurs. Et, croyez-moi, après 15 heures en montagne et plus de 5000m de d+, cette opération de remplacement de tenue se fait au ralenti. J’en profite pour examiner mes pieds, qui après avoir macéré dans l’eau une grande partie de la journée, ont, somme toute, bien résisté à cette agression et certainement grâce à la préparation, durant les 30 derniers jours, à l’aide de crème NOK (le soir) et le tannage au jus de citron (le matin). Finalement, ce remplacement de tenue, m’a demandé pas mal de temps mais c’est tout de même appréciable d’avoir sur soi des affaires propres et sèches.

Puis direction le dortoir, où, par chance, il y a peu de monde, j’en profite pour mettre ma montre en charge, je programme une alarme 30 minutes plus tard et me couche sur un lit de camp. Hélas pour moi, cela ne se passe pas comme prévu, entre le bruit des entrées et sorties, les faisceaux de lampes torches que je reçois en pleine figure, le sommeil ne viendra pas. Pour autant le fait d’être allongé, les yeux fermés et ne plus être concentré sur le parcours permet à mon cerveau de se reposer un temps soit peu.

Après ces 30 minutes, le corps déjà bien refroidi, je retrouve ma moitié dans le sas du dortoir, où, tant bien que mal, j’essaie de recharger mon sac. Mais en vain, nous sommes mal placé, l’opération est à nouveau trop chronophage, tant pis, il faut changer de stratégie. Pour autant, dehors, j’ai trop froid, nous regagnons alors le restaurant, où sont servis les repas pour les traileurs. Nous trouvons un petit bout de table suffisant qui va me permettre d’avaler deux bols de soupe et ma crème sport mélangée à une compote de pommes n’ayant pas d’appétit pour le plat de pâtes proposé aux coureurs. Enfin, je peux maintenant me concentrer sur la mise à niveau de mon sac qui consiste à faire le plein des flasques, faire le plein de la poche à eau avec le mélange de poudre de “malto” et eau, refaire le plein de tout ce qui concerne la nourriture. Optimiser le rangement, préparer ma playlist musicale et m’équiper plus chaudement pour cette nuit… Lorsqu’un traileur attablé avec son épouse m’interpelle, toujours par rapport à ma casquette, au sujet de la Diagonale des Fous, et nous voilà à discuter de cette belle aventure. Après un moment, ma moitié me précise que cela fait plus de deux heures que je suis sur la base de vie. Avec tout ça, j’en aurai presque oublié la course, tant je suis bien içi, au chaud et en bonne compagnie…

Mais où ai-je la tête ? Il est grand temps de se remettre en route ! Nous quittons le restaurant, un baiser à ma petite femme et je me dirige vers le pointage en sortie de la base de vie. Les membres de l’organisation me confirment, hélas, que le Col du Morétan, a également été supprimé de notre itinéraire suite aux mauvaises conditions. Cela ajoute de la déception suite à l’évitement de la Croix de Belledonne, mais ce sont les aléas de la montagne et il faut l’accepter. Me voilà parti en direction du Gleyzin (16,5k, 1150d+, 1450d-), prochain ravitaillement sur mon itinéraire.

Et, il faut bien l’avouer, la remise en route est compliquée. Alors que je me faisais une joie de courir cette nuit au rythme de la musique, le matériel me donne du fil à retordre. Ma playlist s’arrête après quelques minutes m’obligeant à ressortir le smartphone, déverrouiller l’écran alors que j’ai les mains gantées, relancer la playlist, replacer le smartphone dans la poche du sac, refermer la poche, tout ceci de nuit, à la frontale et en évitant les obstacles… Après plusieurs tentatives, je jette l’éponge, tant pis pour la musique mais il me faut être prudent pour ne pas me blesser. Adieu Sardou, Calogéro, Einaudi, Supertramp, AC/DC et tant d’autres, et hélas pour vous, vous ne verrez donc pas de vidéo de mon rythme plus régulier en écoutant un bon Thunderstruck ! (clin d’œil sur mon aventure de la Diagonale des Fous).

Je me rend vite compte, que sur ce profil descendant sur lequel j’évolue, la baisse d’altitude qui en résulte et le fait d’être en mouvement, je suis bien trop couvert. Qu’à cela ne tienne, j’enlève gants, veste de trail et buff. Voilà qui devrait me permettre de mieux profiter de cette douce nuit.

Alors que j’ai rattrapé un concurrent, pris dans nos bavardages, nous ratons une bifurcation et continuons à descendre lorsque nous nous retrouvons sur une route. Allez, demi-tour, il faut remonter! Un petit détour de 600m et un peu de dénivelé positif en plus. Mais vous me connaissez, je suis assez coutumier du fait…

J’ai repris un rythme un peu plus rapide et petit à petit, je me rapproche de trois autres traileurs. Je m’invite dans leur discussion et alors qu’un des concurrents lève le pied, je fais la connaissance d’Emmanuel ou Manu pour les intimes 😉 et ensemble, sans m’en douter, nous allons partager de nombreuses heures et de nombreux kilomètres.

Nous avons attaqué un bon casse-patte, à l’assaut de la montagne de Tigneux, où pas après pas nous reprenons de l’altitude tant bien que mal… Du coup, nous avons du temps pour converser 🙂

Manu, un jeunot qui fêtera prochainement ses 40 ans, papa de deux filles est Grenoblois. Il a à son actif, quelques trails dont le trail des passerelles du Monteynard (40k), l’ultra-trail du Vercors (87km) et dernièrement le tour des glaciers de la Vanoise – TGV (73k). C’est donc son premier ultra de plus de 100k. Et encore une fois, c’est costaud de se lancer sur cette aventure, avec si peu d’expérience dans le long, étant donné les caractéristiques de l’épreuve dont la notoriété en fait une course pour le moins exigeante.

Il y a quelque chose de magique dans ces moments. Dans la nuit, concentrés sur l’endroit où nous posons nos pieds, dans le faisceau de nos frontales sans réellement se voir, les sens en éveils, le seul point de repère est la voix de ce frère d’armes, un lien qui nous rassemble au gré de nos conversations.

Au franchissement du col, toujours le même constat, la descente qui se veut technique et bien raide, ne nous permet pas, au vu de notre état de forme actuel de relancer, nous l’attaquons donc, avec modestie, d’un bon pas de randonneur.

Par cette nuit étoilée, nous voilà au lac du Léat, petit mais plein de charme, accueillis par deux bénévoles qui assurent le pointage de nos dossards. Un accueil fort sympathique où l’on nous propose de prendre quelques bonbons. Manu se laisse convaincre par un “Arlequin” et moi, par un “Stoptou”, un petit moment de bonheur avant d’avaler les 700m de dénivelé négatif avant le prochain ravitaillement. Merci à eux 🙂

Le Gleyzin, altitude 1097m, samedi 04:15

Temps de course : 22:14:22
Distance depuis le départ : 80,9k
D+ depuis le départ : 6354m
Classement : 232

Pour le coup, je suis loin d’être en avance. J’ai 1h49 de retard sur mon roadbook. Avec le temps de pause que je me suis octroyé au Pleynet, la technicité de ces derniers kilomètres et la fatigue aidant, c’était prévisible !

Mais peu importe, nous sommes désormais largement en avance par rapport aux barrières horaires et surtout nous sommes en course 🙂
Par chance ce ravitaillement dispose d’une zone de repos et après concertation avec Manu, on s’accorde sur le fait qu’il serait bon de reprendre un peu de force avant d’attaquer le prochain tronçon. La tente est bien occupée, mais pour notre plus grand plaisir nous trouvons de la place et après avoir indiqué le temps de repos souhaité à la bénévole qui gère les réveils, nous voilà, chacun sur un lit de camp, espérant tomber rapidement dans les bras de Morphée pour une micro sieste de 10 minutes. Difficile de savoir combien de minutes effectives passées à dormir mais ce qui est certain, pour ma part, c’est que j’ai réussi à trouver le sommeil 🙂 Au réveil, quelque peu ensuqué, le temps de remettre chaussures, sac sur le dos, nous profitons de refaire le plein des niveaux en carburant solide et liquide avant de reprendre le chemin en direction de Super Collet. A ce stade, nous n’avons pas de données fiables sur ce qui nous attend concernant le dénivelé positif, négatif et sur le nombre de kilomètres à parcourir avant de rejoindre le prochain ravitaillement suite au parcours de repli. Ce sera donc la surprise 😉 Mais, pas d’erreur possible, c’est bien une belle côte qui nous attend en quittant la zone de ravitaillement.

Qu’il est difficile de prendre de la hauteur en ce bas monde. Pour l’heure, c’est moi qui ouvre la voie dans cette montée ou pas après pas, nous grappillons quelques centimètres d’altitude. Cette nouvelle ascension nous coûte mais nous nous hissons peu à peu et après avoir avalé plus de 600m de dénivelé positif nous basculons côté descente jusqu’à rejoindre une DFCI qui va nous permettre de reprendre un rythme plus soutenu alors que déjà la nuit touche à sa fin.

Le rythme redevient plus modeste dès lors qu’une nouvelle ascension se profile à l’horizon afin de rejoindre Super Collet. Qu’à cela ne tienne, ne sommes nous pas là pour ça ? Le jour se lève laissant présager une journée plus belle que la précédente et l’espérance de beaux paysages à voir pour notre plus grand plaisir. Dans l’immédiat, nous avons ôté nos frontales dont nous aurons certainement encore besoin ce soir…

Manu me fait remarquer qu’au final c’est une bonne chose que de s’épargner le Col du Morétan, col tant redouté des coureurs par sa difficulté, et finalement, maintenant, je suis plutôt de son avis quand on ne peut que constater l’effort qu’il nous faut fournir pour lutter contre cette attraction terrestre qui nous rappelle ô combien nous sommes bien petits et peu de chose sur cette terre.

Mais « Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage » et à nouveau, après plus de 600m de dénivelé positif, le sentier désormais en balcon se veut moins pentu, plus roulant, par endroit ombragé où jaillissent de belles racines proéminentes et encore humides de la veille nous rappellent qu’il faut veiller à bien lever les pieds.

A quelques mètres de l’arrivée du ravitaillement de Super Collet, nous sommes accueillis par ma petite femme et alors que je fais les présentations en bonne et due forme, Manu indique à ma moitié “qu’il a passé la nuit avec son homme…” Et nous passons le pointage dans la joie et la bonne humeur.

Super Collet, altitude 1643m, samedi 08:29

Temps de course : 26:28:45
Distance depuis le départ : 100,6k
D+ depuis le départ : 8396m
Classement : 186

Super Collet est la seconde et dernière base de vie de cet Ultra Trail. Comme au Pleynet j’ai prévu d’y passer 1 heure (en théorie) avec le même programme que précédemment sauf que depuis quelques kilomètres mes tendons d’Achille sont contrariés. Il faudra donc aussi rendre visite aux kinés. Même programme pour Manu, qui lui à mal aux pieds suite à des ampoules qui s’invitent à la fête.

Nous commençons donc par là, chacun de son côté, soin des pieds pour Manu, pose de KT Tape (bande élastique qui part sous le talon et qui remonte jusqu’en haut du mollet) à gauche et à droite pour moi. Voilà une bonne chose de faite, on peut donc passer à la suite du programme en rejoignant la tente dortoir pour une tentative de sieste d’une durée de 30 minutes. Et comme précédemment le sommeil finira par arriver nous redonnant un peu de fraîcheur et de vigueur pour la suite de l’aventure. Au réveil, je retrouve ma moitié, qui m’assiste pour la recharge de mon sac par le plein des niveaux liquides et solides pendant que je change de tenue. Puis je poursuis par de la soupe et ma crème sport qui passe comme une lettre à la poste 😉 Manu en a fait de même et enfin après 1h20 d’arrêt au stand, nous voilà fin prêt pour poursuivre notre route. Un baiser à ma douce que je retrouverai sur le dernier ravitaillement avant l’arrivée. D’içi là, il nous faudra digérer encore quelques milliers de mètres de dénivelé positif et négatif et bon nombre de kilomètres…

Et ça repart direct par une piste large en côte. J’étais surpris de voir bon nombre de coureurs nous doubler, sans peine. Je viens de réaliser, qu’à partir de Super Collet d’autres courses, La Traversée Nord (84k, 6140d+) et le Parcours des Crêtes (64k, 4800d+) empruntent désormais en tout ou partie notre fin d’itinéraire. Ils sont facilement reconnaissables à la couleur différente de leur dossard. C’est l’occasion d’échanger quelques mots avec ces traileurs bien plus frais et plus rapides que nous tout en affrontant les 450m de d+ pour 3,5k qui se présentent à nous.

EchappéeBelle 2022 - Col de Claran, Manu en tête

Col de Claran, Manu en tête 🙂

Au sommet, la sente nous fait le plaisir de rester quelque temps sur une ligne de crêtes, d’où la vue plus ensoleillée que la veille nous réchauffe le cœur, avant de plonger dans la descente qui va nous faire perdre 700m sur 4,2k. Nous allons nous faire rattraper, puis doubler bon nombre de fois par les concurrents des autres courses sur cette monotrace bien étroite, nous obligeant à nous “garer” sur le côté, pour les laisser passer, leur rythme étant bien plus élevé que le nôtre. Bien que cela nous retarde un peu, cela se fait toujours avec courtoisie, un merci, quelques mots d’encouragements à notre égard 🙂 A nouveau, je suis agréablement surpris de voir autant de jeunes gars et filles, plein d’enthousiasme pour la course qu’ils sont en train de mener.

Et comme toujours, lorsque la descente se termine, il nous faut reprendre de l’altitude alors que nous arrivons sur un poste de pointage. Un sympathique bénévole nous indique qu’à partir de cet endroit nous allons devoir ingurgiter 1000m de dénivelé positif d’une traite. Ouch !!! Ça va piquer ! Et de nous conseiller d’y aller tranquillement… Ça tombe bien, de toute façon, nous n’avons pas les moyens de faire autrement , ce qui ne nous empêche pas d’accueillir la nouvelle avec le sourire et de blaguer avec lui 🙂

Et c’est rien de le dire qu’elle pique cette ascension pour le Col d’Arpingon (9eme col au-dessus de 2000m, 2276m) ! La montagne, ça se mérite, alors, avec humilité, lentement mais sûrement, nous reprenons de la hauteur jusqu’à rejoindre, une halte surprise et bienvenue au Refuge Férices.

Refuge Férices, altitude 1902m, samedi 12:57

Temps de course : 30:55:55
Distance depuis le départ : 110,5k
D+ depuis le départ : 9403m
Classement : 195

C’est une bonne nouvelle car ce ravito n’était pas indiqué sur le roadbook de l’organisation. Point de soupe ici, mais cette petite pause agréable nous permet de faire l’appoint des flasques et de nous restaurer en picorant à droite, à gauche. Et après quelques minutes, nous voilà repartis à l’assaut de ce col qui, pour l’heure, n’est toujours pas en vue, Manu prenant la tête des opérations. 🙂

Il nous faudra être patient, persévérant, pour venir à bout de cet énième Col, car comme souvent, alors que l’on pense arriver au point le plus haut, se cache derrière, un nouveau tronçon à gravir. La monotrace qui serpente en lacets se fait, à plusieurs reprises, assez étroite et technique demandant un effort constant nous contraignant par endroit à re-perdre un peu d’altitude si durement acquise.
Enfin, nous franchissons le Col d’Arpingon. A nous la descente en direction de Val Pelouse, pour un tronçon de 5,1k, 82m en positif et 619m en négatif. Pour autant, là aussi, il nous faudra être patient, les jambes pas vraiment consentantes pour reprendre un rythme plus rapide… Et bien, nous attendrons un moment plus propice et pour temporiser, mettre un pied devant l’autre reste un bon moyen de continuer à avancer.

La perte d’altitude aidant, le décor que nous traversons se veut plus arboré. La pente qui s’est bien adoucie, nous permet de relancer très tranquillement avant que le ravitaillement de Val Pelouse pointe le bout de son nez. C’est une bonne nouvelle, car ce ravitaillement c’est presque l’assurance de terminer cet Ultra Trail, les plus grosses difficultés étant désormais derrière nous.

Val Pelouse, altitude 1721m, samedi 16:09

Temps de course : 34:08:18
Distance depuis le départ : 118,5k
D+ depuis le départ : 9917m
Classement : 206

1h04 de retard sur mon roadbook, 5 minutes d’arrêt prévu.
Une fois de plus, un accueil très chaleureux de la part des bénévoles, un sourire, un petit mot pour chaque concurrent. C’est très gentil à eux ! Allez, on ne perd pas les bonnes habitudes, je fais le plein des flasques, une soupe chaude, un tronçon de banane, quelques gourmandises pour ma part. Avec Manu, on s’octroie même une pause sur un banc le temps de terminer notre casse-croûte et Go, direction Bourget en Huile, avant dernier ravitaillement pour un total de 15,7k, 775m en positif et 1684m en négatif.

Dans l’immédiat, c’est “Dré dans l’pentu” pour rejoindre le premier obstacle de ce tronçon, le Col de la Perrière (10e Col au-dessus de 2000m, 2003m). Mais dès le départ, Manu ressent de gros picotements sous un pied, provoquant une gêne bien désagréable, l’obligeant à enlever chaussure et chaussette afin de vérifier. Rien de bien visible sur cette partie douloureuse pour l’heure mais certainement le début d’ampoules en formations. Il va lui falloir composer avec jusqu’à la fin de cette aventure. Et puis nous reprenons la route.

Même si la fatigue est bien présente et que notre rythme reste modeste, le Col de Perrière est franchi assez facilement, tant il est vrai que les 292m de dénivelé positif pour l’atteindre restent raisonnables. S’ensuit une descente de 2,1k pour une perte de 381m de dénivelé et où peu à peu nous allons finir par rattraper une concurrente. Et de bonne guerre, nous voyant arriver, elle va accélérer la cadence. Je me laisse prendre au jeu, et tous les trois à la “queuleuleu”, sur cette sente bien caillouteuse nous allons passer un moment bien divertissant. Je suis à moins de deux mètres derrière elle, et j’admire sa façon de courir en s’aidant des obstacles, roches, cailloux, sur lesquels, elle prend appui, faisant riper son pied, se laissant parfois glisser. C’est très fluide et surtout terriblement efficace. Ce qui est certain, c’est qu’avec Manu, nous n’avons pas sa technique, et c’est bien dommage. A plusieurs reprises, elle me demande si l’on souhaite passer. Je décline sa proposition en la remerciant, car rien que pour la suivre, cela nous demande un effort conséquent et si l’on passait devant, nous serions alors dans l’incapacité de la distancer. Et c’est bien ce qui se vérifie un peu plus loin où il me faut “lever le pied” tant cela m’a demandé d’énergie et de concentration pour rester dans sa foulée sans choir lamentablement. Avec Manu, nous débriefons sur ce moment ludique qui nous a permis de nous “booster”, et surtout de faire passer bien plus vite ces centaines de mètres.

Le franchissement d’un cours d’eau sonne la fin de cette descente ainsi que le début d’une nouvelle ascension, pour le 2eme obstacle de ce tronçon, le Col de la Perche (1,4k, 358m d+, 1984m). C’est alors que nous rattrapons la fameuse concurrente, qui visiblement à moins de facilité en montée. Je remarque, tout juste maintenant, car bien trop concentré dans la descente précédente , qu’elle a son dossard dans le dos, et qu’elle se nomme Carole. Et toujours en file indienne, j’engage la discussion. Que le monde est petit ! Carole est une connaissance de l’épatante Marine (Cf. récit de la Trans-Aubrac). Elle connaît bien Belledonne, c’est un peu son terrain de jeux. Elle était d’ailleurs déjà sur l’Intégrale l’année dernière, mais cette fois-ci elle est beaucoup plus en avance. Une très belle progression en un an ! Je la félicite pour sa technique et son efficacité redoutable en descente. Elle me confirme d’ailleurs que la montée n’est pas son fort. Tout en papotant, voilà franchi le col de la Perche alors que le chemin se poursuit en direction du 3eme obstacle bien plus modeste, le sommet du Grand Chat (2,5k, 152d+,126d-, 1992m). Carole en tête, nous servant de guide, nous parle de ces montagnes et de la suite des réjouissances. Nous lui emboitons le pas et cheminons par la crête des Mollards jusqu’à atteindre le dit sommet lorsque s’amorce la descente pour rejoindre Le Bourget en Huile (7,14k, 1163m de dénivelé négatif) d’où Carole prend son envole. Nous la laissons filer étant conscients que nous n’arriverons pas à la tenir sur ce profil descendant pensant alors qu’elle terminera cet Ultra Trail bien avant nous.

Au fur et à mesure de la descente, la sente laisse place à un chemin plus large et bien pentue, où un flot continu de participants des différentes courses se retrouvent, et chacun à son rythme, double ou se fait doubler. Manu, que ses pieds font toujours autant souffrir, est quelques mètres derrière alors que je rattrape un couple engagé sur le Duo des Cîmes (120k, 11000d+) et dans cette descente quelque peu prononcée, nous courons à bon rythme tout en conversant, entre autre, sur la difficulté de leur épreuve, et sur le temps qu’il va nous falloir pour rejoindre le prochain ravitaillement. Cette conversation me stimule et me donnerait presque des ailes . Je ralenti car Manu s’est laissé distancer et lorsqu’il me rejoint, je lui fait part d’une bonne nouvelle, nous allons certainement arriver un peu plus tôt que prévu au “ravito” si nous maintenons cette allure 🙂 C’est l’occasion pour lui de passer un petit coup de téléphone afin de prévenir son épouse de son arrivée prochaine sur ce dernier ravitaillement.
Puis nous nous laissons emporter par ce qu’il nous reste de descente à un rythme bien convenable malgré les plus de 130 kilomètres au compteur.

Quelques mètres avant l’arrivée au ravitaillement du Bourget en Huile, mon plus jeune frère, Aurélien, me fait la joie de sa présence, et ensemble avec Manu, nous passons le pointage, je retrouve ma moitié, toujours là pour me soutenir et m’encourager, et nous rejoignons les bénévoles pour une pause restauration et faire le dernier plein des niveaux.

Le Bourget en Huile, altitude 819m, samedi 20:09

Temps de course : 38:08:02
Distance depuis le départ : 133,7k
D+ depuis le départ : 10700m
Classement : 193

42 minutes de retard sur la prévision de mon roadbook. Un temps de pause de 10 minutes prévu dans la théorie mais en pratique, nous allons y passer plus de temps. L’épouse de Manu ne s’attendait pas à ce que nous arrivions si tôt… Qu’à cela ne tienne, nous allons reprendre des forces et je vais pouvoir profiter de ma petite femme et du frangin qui est venu de Grenoble en vélo juste pour me voir sur le ravito (120k, 1000d+ aller, retour) 🙂

Ravitaillement au Bourget en Huile, en compagnie d'Aurélien

Quelques minutes pour profiter du Frangin 🙂

Et lorsque que l’épouse de Manu arrive, le temps de faire les présentations et de blaguer un peu, il est l’heure pour nous de reprendre le chemin pour ce dernier tronçon qui va nous mener à Aiguebelle (16,1k, 560m en positif et 1064 en négatif).

Je suis plus motivé que jamais, bien décidé à ne pas y passer trop de temps. Bertrand, un ami de Manu, nous fait le plaisir de nous accompagner sur cette ultime étape. D’entrée de jeux, nous alternons marche très rapide et course souple à l’assaut du Fort de Montgilbert (1360m) alors qu’il nous faut ressortir nos frontales, le soleil nous tirant sa révérence.

La trace plutôt aisée au départ, va au fil des kilomètres devenir bien plus raide (8k, 548d+). Dans notre petit groupe où quelques coureurs nous ont rejoints, les échanges vont bon train. J’ouvre la marche dans la nuit et alors que nous évoluons désormais sur une sente bien étroite et ravinée, les discussions cessent peu à peu, chacun se concentrant sur l’effort à fournir afin de gravir cette butte. A maintes reprises, le chemin nous fait la joie de redevenir presque plat, nous laissant penser que nous avons atteint le point culminant, mais que nenni, s’ensuit à nouveau encore un peu de dénivelé positif à digérer.

Alors que nous passons à proximité du Fort de Montgilbert sans nous en rendre compte, dans l’obscurité de la nuit, c’est maintenant 8 kilomètres de descente et 1042m de dénivelé négatif qui nous attendent. Et ça ne va pas être facile. On tente alors de relancer, mais pour Manu, les maux de pieds s’accentuent avec la descente, l’impact étant plus important. Pour ma part, si les K-Tape ont permis de soulager les tendons un bon nombre d’heures, ce n’est, depuis quelque temps, plus le cas. Nous changeons alors de stratégie, en alternant marche rapide et course en tentant de rester le plus souple possible. C’est psychologiquement difficile à admettre et pour cause après plus de 40 heures passées à parcourir Belledonne, nous savoir à quelques petits kilomètres de l’arrivée et se demander combien de temps, au vu de notre état de forme actuel, il nous faut compter avant de faire retentir cette fameuse cloche de Belledonne.

Manu reprend alors un rythme bien plus soutenu. Avec Bertrand, nous lui emboitons le pas et dévalons cette descente bien raide où se mêlent terre, cailloux et feuilles mortes. Descente ô combien exigeante pour le corps en cette fin d’aventure mais rien de plus salvateur pour le moral que de reprendre un peu de vitesse !

Nous perdons de l’altitude. Parfois notre piste est entrecoupée par une route avant de reprendre un pourcentage de pente élevé, à d’autres endroits, nous reprenons des sections de bitumes bien moins fun mais permettant de donner un peu de répit à notre concentration, à nos yeux et à nos guibolles.

Sur une section bitumeuse, alors que nous nous déplaçons en marche rapide, un bénévole renseigne les concurrents : Plus que 3,5 kilomètres avant l’arrivée !

Et nous, qui pensions qu’il en restait moins…
Alors que nous replongeons dans la descente, Manu relance à un rythme endiablé, à tel point que je peine à le suivre. Avec Bertrand, nous en rions et nous nous demandons quelle mouche à bien pu le piquer pour qu’il retrouve autant de vigueur ?

Au prix d’une concentration et d’un effort non négligeable, je le rejoins peu à peu, Bertrand aussi lorsque Manu nous avoue que d’apprendre qu’il restait encore 3,5k, lui a mis le moral en berne, et par conséquent qu’il fallait en terminer au plus vite…
Nous en rions tous les trois, et c’est très bien, au moins, nous avançons plus vite !

Et nous reprenons notre course, à nouveau quelques sections de bitumes, une à deux descentes bien casse-pattes, puis la pente finit par s’adoucir. Nous voici désormais à l’entrée d’Aiguebelle sans pour autant réduire notre vitesse, bien au contraire. Chaque personne croisée, nous félicite. Rien ne saurait désormais nous empêcher de faire retentir cette fameuse cloche sonnant la fin de notre périple, dussions nous ramper jusque là…

Oubliés les divers maux qui nous ont accompagnés pendant cette aventure ! Nous sprintons euphoriques dans les rues d’Aiguebelle, un dernier virage, une route à traverser, l’entrée dans l’allée du château, devant nous le couloir qui mène à l’arche, encore quelques mètres et ensemble nous franchissons cette ligne d’arrivée sous les applaudissements des spectateurs et de nos petites femmes respectives.

Aiguebelle, altitude 319m, samedi 23:45

Temps de course : 41:43:54
Distance depuis le départ : 149,9k
D+ depuis le départ : 11262m
Classement : 191
42 minutes de retard par rapport au roadbook

Avec Manu, nous nous serrons dans les bras, pour tous ces kilomètres, ce dénivelé et ces heures partagés. Un baiser à nos moitiés respectives et enfin, maintenant, nous pouvons faire retentir cette belle cloche de Belledonne indiquant la fin de cet Ultra trail, de ce voyage, de cette aventure au terme de 149 kilomètres, 11000m de dénivelé positif en 41:43:54 !

L’arrivée d’une course d’endurance, est pour ma part, toujours chargée d’émotions. Une grande joie dans l’accomplissement du défi et de tout ce qui a été entrepris, plusieurs mois auparavant, pour sa réussite.

Chaque course m’enrichit d’une expérience supplémentaire, me permettant de repousser un peu plus loin mes limites, me donnant plus de confiance.

Une question que j’entends souvent est : Mais pourquoi s’imposer cela ?
Je conçois que quelqu’un qui n’a jamais vécu une course d’ultra endurance puisse se poser cette question. Je résumerai le pourquoi de la façon suivante : Pour cette communion avec la nature, pour l’introspection, pour les rencontres et le partage avec les concurrents.

Nul ne sait combien de temps il passera sur cette terre. Il faut croquer la vie !
Et pour moi c’est une belle façon de le faire 🙂 Je mesure alors pleinement la chance et le bonheur de pouvoir vivre de telles aventures.

Classement

Temps de course : 41:43:54
Classement au général : 191/390 arrivants – 219 abandons
Classement dans ma catégorie (V2H) : 29/82 arrivants

 

Des nouvelles des concurrents avec qui j’ai eu la chance de partager quelques kilomètres :

  • Xiril, finisher en 31:38:24, 33eme au général, 8eme en V1H… Wahou ! La classe 🙂
  • Romane, abandon à Super Collet après 31:51:58… Mince, la prochaine fois sera la bonne !
  • Carole, finisher en 42:17:26, 203eme au général, 10eme féminine, 2eme en V1H féminine… Elle est arrivée plus tôt que nous, mais au final elle termine après étant donné qu’elle faisait partie de la première vague à s’élancer (5h). Félicitations ! Elle a bien géré sa course, elle fait un très beau classement 🙂

Remerciements

  • A ma moitié, toujours à mes côtés, aux petits soins pour moi.
  • A Manu, pour cette rencontre et tout ce que nous avons partagé sur cette aventure.
  • A Alain Roche, le coach pour tout ce qu’il m’apporte.
  • A Marine (instagram : @delavalmarine) et Kevin (instagram : @Kevin_trailrunner) pour ces séances d’entraînements partagées, notre Weekend choc dans le Mercantour.
  • A Paul Houplain, Chiropracteur, qui m’a bien soigné après la Trans-Aubrac
  • Aux concurrents
  • Aux bénévoles
  • A l’organisation
  • Et à vous, fidèles lecteurs, qui avez pris de votre temps pour lire ce récit !

 

 

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