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Une course qui ne s’est pas déroulée comme prévu malgré tout le charme de l’Aubrac…

Prologue

Samedi 16 avril, 5h10, Laissac, 6°c et une pleine lune radieuse. Avec ma moitié, nous partons récupérer Marine un peu plus loin. Puis, nous rejoignons Bertholène, lieu de départ de cet Ultra Trail Trans-Aubrac. Nous assistons à une partie de debrief de course et regagnons le château de Bertholène, d’où sera donné le départ d’ici quelques minutes. Ambiance moyenâgeuse assurée, malgré nos accoutrements de traileurs 2.0, lors de la montée au château empruntant un petit sentier illuminé de quelques flambeaux. Devant l’entrée de la fortification, j’embrasse ma petite femme, le public devant rester à l’extérieur pour assister au départ des coureurs.

 

Ultra trail Trans Aubrac - Château de Bertholène

Dans le sas de départ

 

Nous nous positionnons dans le sas, déjà bien occupé. Je suis très heureux de partager cette aventure avec Marine, pour qui c’est son premier plus de 100k. Nous avons déjà pratiqué quelques sorties ensemble sur nos terrains de jeux lors de nos séances d’entraînement dans la joie et la bonne humeur. La pression monte petit à petit tout comme la voix exaltée du speaker. La fête bat son plein, lorsque débute un beau feu d’artifice avec la « full moon » au-dessus du château devant nos yeux ébahis et pour notre plus grand plaisir. Puis le coup d’envoi nous est donné : Go, c’est parti !

Ultra Trans-Aubrac, départ festif depuis le Château de Bertholène

Départ festif depuis le Château de Bertholène | Crédit photo : Photossports – Thomas Prud’homme

 

Course
0 km – Château de Bertholène (samedi 06h00)

Pas trop vite quand même, simplement en marchant, pour ne pas piétiner les talons des coureurs qui nous précèdent… Je cherche parmi la foule, mais ne voit pas ma petite femme, je l’ai loupé ! Après quelques mètres, le peloton s’étirant, nous trottinons. Avec Marine, nous commençons à doubler tranquillement quelques concurrents.

Le parcours plutôt roulant nous permet d’avaler les premiers kilomètres assez rapidement. La lune petit à petit nous tire sa révérence alors que déjà le soleil pointe le bout de son nez d’un beau disque orangé laissant apparaître un paysage vallonné de toute beauté. Voilà qui présage d’une belle journée.

Une succession de parties goudronnées, de pistes forestières, de montées légères et de descentes peu techniques rendent ce début d’Ultra Trail ludique et permettent un bon rythme.

Avec Marine, dans notre duo improvisé, lorsqu’un de nous deux se trouve devant, il se retourne régulièrement pour voir si l’autre suit toujours. Plein de bienveillance l’un pour l’autre. C’est top et j’en suis très heureux car ce n’est pas forcément évident de partager des kilomètres sans savoir si le rythme convient à chacun.

Signe de l’éveil du printemps, dans les forêts traversées, les chants des oiseaux viennent égayer nos foulées et notre souffle. Que la vie est belle !

Et voilà qu’arrive déjà le premier vrai ravitaillement sous les applaudissements et les encouragements des supporters…

Ultra Trans-Aubras - Saint Côme d'Olt

L’entrée dans Saint Côme d’Olt, avant le ravitaillement | Crédit photo : Photossports – Thomas Prud’homme

 

22,4 km – St Côme d’Olt (samedi 8h25)

Chrono : 02:17:39 | Cumul D+ : 532m | Classement : 81
(5 minutes d’avance sur le roadbook)

Pour certain, c’est l’heure du petit déjeuner, pour moi, c’est celle de la soupe 😉
Alors que je demande aux sympathiques bénévoles où se trouve la soupe, on m’indique un thermos et sans plus tarder, je rempli mon ecocup souple… d’eau chaude ! Adepte des soupes sur les ravitaillements, je n’avais pas pensé à cette éventualité, et c’est une première pour moi sur un ravito mais peu importe. Il faut juste que je m’organise un tant soit peu en tenant précautionneusement ma tasse souple d’une main qui ne peut être posée lorsqu’elle est pleine, tenter d’ouvrir le sachet de l’autre main, verser le contenu de la soupe déshydratée, jeter le sachet, trouver la “touillette”, bien mélanger et essayer de déguster le tout sans se brûler le palais… Et au passage en profiter pour avaler un tronçon de banane.

C’est la définition parfaite du Trail : Savoir s’adapter en toutes circonstances !

Une pause de 7 minutes au lieu des 5 prévues dans mon roadbook mais peu importe j’ai quelques minutes d’avance sur l’horaire prévu.
Et hop, avec Marine, nous reprenons notre course.

Sur notre parcours, nous avons la chance de passer à proximité de somptueuses demeures, bâtisses anciennes rénovées avec goût, de quoi attirer l’œil et être admiratif de la qualité de ces ouvrages qui pour certains, doivent dater de plusieurs siècles à en croire ces toits de lauzes, légèrement déformés, voir ondulés, par le poids des années.

Petit à petit, nous quittons la civilisation pour nous enfoncer dans les bois, sur un parcours au profil montant qui nous fait prendre 500d+ avant de perdre de l’altitude et rejoindre une piste forestière d’où nous pouvons apercevoir en contrebas, sur notre gauche, l’abbaye de Bonneval.
Nous filons à bon train, Marine me précède dans cette descente et nous suivons quelques coureurs que nous avons dans le viseur. Depuis quelques kilomètres, une gêne aux cervicales s’est invitée, j’essaye de détendre le haut du corps comme je peux. Deux concurrents arrivant à contresens indiquent qu’il n’y a plus de rubalise depuis un bon moment… Arfff, emportés dans l’élan général, à suivre les autres coureurs, nous avons loupé une bifurcation. Qu’à cela ne tienne, il nous faut faire demi-tour et remonter ce que nous venons de dévaler. Un détour qui nous coûte au total presque 2 kilomètres, du d+, du d- et des places… Ce n’est pas la première fois que cela m’arrive et certainement pas la dernière
Et puis, comme on dit : “Quand on aime, on ne compte pas !”

Nous finissons par passer devant notre erreur, bifurquant, cette fois, sur le bon itinéraire en empruntant une sente descendante qui nous mène au pied de l’abbaye.

32,1 km – Abbaye de Bonneval (samedi 09h52)

Chrono : 03:47:17 | Cumul D+ : 1150m | Classement : 107
(6 minutes d’avance sur le roadbook)

Point de ravitaillement, uniquement un pointage et ma petite femme, qui nous fait la surprise de nous y attendre 🙂 Un baiser au passage et nous voilà repartis.

Nous passons devant l’entrée et longeons une partie de l’enceinte qui nous permet d’entrevoir la beauté du site. Cette abbaye cistercienne fondée en 1147, a connu la Guerre de Cent ans et les guerres de religion, désormais havre de paix où je me laisserai bien tenter par une pause et une visite des lieux. Il paraît d’ailleurs que les sœurs y produisent quelques délices aux chocolats

Ultra Trans-Aubrac - Abbaye de Bonneval

L’Abbaye cistercienne Notre-Dame de Bonneval | Crédit photos : Photossports – Thomas Prud’homme

Mais pour l’heure, Marine en tête, nous foulons un tapis de feuilles de châtaigniers tout en reprenant petit à petit de l’altitude.

C’est étrange, mais je sens depuis un moment que je ne suis pas dans mon assiette. Je constate plus loin, au 37e km, dans un beau raidillon, que mon pouls bat bien trop fort. S’ensuit une baisse d’énergie, et des maux de ventre m’obligeant à réduire l’allure. A plusieurs reprises, j’incite Marine à continuer sa course mais elle reste à mes côtés et m’encourage.

Et plus les kilomètres passent, moins j’ai d’énergie. Je me force à relancer sur le plat et en descente tout en conservant une vitesse de marche rapide dans les montées mais il faut bien l’avouer, le plaisir n’y est plus !

Je me projette mentalement sur le prochain ravitaillement, celui de Laguiole au 53ème kilomètres et me dis qu’il faut tenir jusque là…

Une lutte interne s’engage pour ne pas écouter la voix de ce démon, et me laisser aller à la tentation grandissante de rendre mon dossard lorsque j’arriverai au ravitaillement.

Je me concentre sur ma foulée, tout en essayant de profiter du cadre dans lequel nous évoluons, de relativiser. J’essaye de m’alimenter un peu mais je n’en ai aucune envie et je suis limite nauséeux.

Petit à petit, les kilomètres s’accumulent, et peu avant de rejoindre une route, Philippine, la plus jeune fille de Marine et Sébastien, accourt vers Marine, en criant “Maman !”, elle lui prend la main et toutes deux continuent en courant. L’admiration d’une enfant pour sa maman, voilà qui est beau à voir, et qui met du baume au cœur. Un peu plus loin, c’est Dune, l’ainée, Sébastien son conjoint et ma petite femme qui nous accueillent. Nous avons la chance d’avoir une assistance de choc et ça, c’est bon pour le moral 🙂 mais on ne s’attarde pas, il faut passer le pointage.

42 km – La Vitarelle (samedi 11h16)

Chrono : 05:11:14 | Cumul D+ : 1891m | Classement : 77

Et par chance, la possibilité de faire le plein des flasques. Quelle aubaine ! Pour moi, c’est également l’occasion de quelques secondes de répit. Répit de courte durée, certes, car il ne faut pas s’éterniser et reprendre le chemin.

Toujours en duo avec Marine, je ne suis pas très bavard, je me concentre à rassembler le peu de ressources disponibles pour continuer d’avancer le mieux possible. Les maux de ventre ont disparu, ce qui en soit, est plutôt positif, mais, par contre, aucun regain d’énergie. Comment trouver la force nécessaire pour boucler un peu plus de 60 kilomètres restants ???? Pourtant, je sais très bien, par expérience, que sur un ultra, il y a forcément des coups de moins bien, qu’il faut s’accrocher, qu’en général ça passe et que parfois, on peut même se sentir très bien par la suite.

Mais, pour le moment, il faut serrer les dents et avancer avec l’état de forme actuel. A l’écoute de chaque nouveau kilomètre parcouru signalé par ma montre, je vois arriver lentement mais sûrement le village de Laguiole que nous traversons pour rejoindre le Gymnase, lieu de ravitaillement, tant convoité pour ma part. Quelques marches d’escaliers à descendre et nous voici devant l’entrée de la salle, où public et assistance attendent patiemment l’arrivée des concurrents. Nous y retrouvons d’ailleurs nos assistances de choc pour notre plus grand plaisir 🙂

J’ai prévu 30 minutes d’arrêt sur mon roadbook mais je sais pour y avoir gambergé depuis plusieurs kilomètres que je vais m’octroyer plus de temps me laissant ainsi une chance de retrouver des forces indispensables dans l’hypothèse où j’envisagerai de continuer l’aventure.

Pour l’heure, après avoir récupéré nos sacs de change, assis chacun sur une chaise et avec nos assistances respectives, nous profitons de cette halte pour remplacer tenues, chaussettes et chaussures (qui ont sale mine), un auto massage des quadriceps et mollets, le plein des niveaux. Opération toujours plus longue qu’en temps normal, un peu comme si nous étions en “Slow motion” , la fatigue aidant.

Je me force à prendre quelques bouchées de ma purée de patates douces, alimentation qui me convient parfaitement d’habitude sur les ultras, mais qui aujourd’hui, a, comme pour le reste, beaucoup de mal à passer…

Un passage par les stands du ravitaillement, où j’en profite pour boire de la St-Yorre, du Coca et une soupe (qui par chance est toute prête 😉 ) alors que nous sommes déjà au terme de ces 30 minutes d’arrêt. Marine est prête, je l’incite à ne pas m’attendre, elle est en forme, elle doit repartir car elle peut faire un beau résultat 🙂
On se dit à plus tard, mais je sais pertinemment qu’il me sera impossible de la rattraper !

A l’ombre, dans ce gymnase, j’ai froid ! Avec ma petite femme, nous sortons, du coup je passe le pointage.

53,6 km – Laguiole (samedi 13h12 pointage en sortie du gymnase)

Chrono : 07:07:08 | Cumul D+ : 2194m | Classement : 102

Nous nous posons sur un bout d’herbe. L’objectif prioritaire, pour moi, étant de faire une micro-sieste de 10 minutes, histoire d’augmenter les chances de pouvoir repartir en meilleur état. Hélas, point de sommeil réparateur, n’arrivant pas à m’endormir, juste la sensation d’avoir “comater” quelques secondes… Et comme il faut que je m’alimente, j’attaque ma crème sport dont je n’arrive pas à bout, impossible de la terminer, aucun appétit, aucune envie !

Pourquoi ce corps ne veut-il pas fonctionner normalement aujourd’hui ? Pourtant, la préparation s’est très bien passée. J’ai pris beaucoup de plaisir lors des mes séances d’entraînements, de bonne heure le matin, à courir, sur les crêtes Cavalairoise à la frontale bien avant que le soleil pointe le bout de son nez, tout au long de cet hiver. J’étais en forme. J’ai beau tenter d’analyser ce qu’il se passe, je ne vois rien qui puisse expliquer cette panne. Mais faisons le point : Je ne suis pas blessé. Certes, en plus du manque d’énergie, j’ai bien des douleurs un peu partout mais rien de dramatique, ni de vraiment handicapant. Et même, si c’est dur, rien qui ne justifie de manière objective de rendre mon dossard et d’abandonner. Alors en route ! Avec en ligne de mire, le ravitaillement du Buron des Bouals, 23k plus loin et 753d+ à avaler.

Un baiser à ma petite femme, toujours là pour me soutenir, et me voilà reparti en marchant, n’ayant pour l’heure pas la force de trottiner.

Quelques sections de macadam m’éloignent peu à peu de Laguiole. Puis, le parcours nous fait la surprise de passer par le magasin d’exposition d’une coutellerie de Laguiole ainsi que par la forge où le forgeron, au travail, s’en donne à cœur joie 🙂 l’occasion de prendre une petite photo souvenir avant de continuer ma route.

Ultra trail Trans Aubrac - La forge de La Coutellerie de Laguiole Honoré Durand

La forge de La Coutellerie de Laguiole Honoré Durand

 

Allez, allez ! Je me force à reprendre en courant, il faut avancer.
Petit à petit, je rattrape Bertrand et Nicolas avec qui j’entame une discussion. Nous échangeons sur nos objectifs à venir. Ils ont pour futur projet un infinitytrail (https://infinitytrail.fr/)
dont le principe est le suivant : Une boucle de 6,7k et un départ toutes les heures. Pour rester en course, il faut pouvoir prendre le départ chaque heure et donc avoir terminé la boucle précédente en moins d’une heure. Le dernier en course est le vainqueur !
Je ne me vois pas relever un tel challenge. Pour moi, “boucle” est synonyme de “usant” ! Lorsque je m’inscrit sur un ultra Trail, ce qui me donne l’envie, en premier lieu, c’est toujours la beauté du parcours emprunté, le fait d’évoluer en pleine nature et l’aventure que cela représente, partir d’un point A pour arriver à un point B avec pour seul moyen de transport ses deux pieds. Ceci dit, il ne faut jamais dire : “Fontaine, je ne boirai pas de ton eau…” et ce genre de challenge force le respect, car il faut un sacré mental pour tenir dans la durée et enchaîner les boucles. Le record mondial est détenu par Courtney Dauwalter (2020), pour les femmes avec 68 boucles pour 456k et Harvey Lewis (2021), pour les hommes avec 85 boucles pour 570k !

Avec Bertrand et Nicolas nous partagerons quelques kilomètres, puis évoluant à des rythmes différents, ils seront soit derrière, soit devant.

Par bonheur, au franchissement d’une route, au milieu de plusieurs groupes d’assistance, ma moitié est là, à m’attendre patiemment et ça tombe plutôt bien, car je suis à cours d’eau. Par fatigue, j’ai omis de faire le plein de mes flasques lors du ravitaillement de Laguiole.

Le parcours nous fait passer par la station de ski de Laguiole, par les pistes que nous prenons en sens inverse, dans le sens de la montée, un “dré dans l’pentu” et même s’il y a peu d’amélioration au niveau de la forme physique, un pied devant l’autre permet toujours d’avancer et d’en venir à bout.

Je surveille ma montre, et le kilométrage parcouru qui n’augmente pas bien vite. Je m’oblige toujours à relancer sur le plat ou en descente, et me contente de marcher sur les sections montantes faute de mieux. Par endroit, quelques vestiges de neige alors que j’évolue désormais sur le plateau de l’Aubrac balayé par le vent qui s’est invité à la fête. Ma vitesse, pas très élevée, ne me permet pas d’être suffisamment réchauffé mais mon état psychologique, quelque peu en berne, ne me donne pas l’envie de m’arrêter pour sortir ma veste de trail.

Ultra trail Trans Aubrac - Sur le plateau de l'Aubrac

Sur le plateau de l’Aubrac

 

Je me focalise sur mon économie de course, en essayant de poser au mieux mes pieds, en minimisant les contraintes supplémentaires sur mes chevilles tout en évitant les pierres, les grosses touffes d’herbes et les fleurs qui attirent mes yeux et égayent mes pensées.

Et voilà, que je me mets à chanter en boucle :

« Colchiques dans les prés fleurissent, fleurissent
Colchiques dans les prés, c’est la fin de l’été »

Mais où ai-je donc la tête, dans quel état j’erre ? Serait-ce ce vent et ce ciel voilé qui me font penser que c’est la fin de l’été alors que nous sommes tout juste au printemps ? Et ces colchiques ne seraient-elles pas plutôt des jonquilles ?

De temps en temps, lorsque je me fais doubler par un concurrent, je tente alors de lui emboîter le pas le plus longtemps possible, histoire d’accélérer un peu la cadence, et jusqu’à ne plus pouvoir. Et inversement, si j’en rattrape un, je m’accroche à sa foulée.
Tant bien que mal, je rattrape Nicolas (un autre ), équipé de ses bâtons, je reste derrière lui et me cale sur son rythme pour me permettre de récupérer un peu. Chacun dans sa bulle à lutter contre soi-même et les difficultés du moment. Puis, je me mets à ses côtés pour passer en mode “papotage”. Nicolas est également dans le “dur”, il n’a plus les jambes. Ce qui ne nous empêche pas de partager notre ressenti sur cette course. Il m’interroge sur mes trails passés, je lui parle de la Diagonale des Fous et du coup me pose une multitude de questions sur cette course mythique. Je ne peux m’empêcher alors de penser que si je m’étais retrouvé dans cet état à la Réunion, il y aurait eu peu de chance pour que j’en arrive à bout, la distance étant de presque 60 kilomètres supplémentaires et le dénivelé positif pratiquement multiplié par trois en comparaison à la Trans-Aubrac…

Tout en discutant, voilà qu’arrive enfin le ravitaillement salvateur du Buron des Bouals où j’y retrouve une fois de plus ma petite femme 🙂

76,9 km – Buron des Bouals (samedi 17h16)

Chrono : 11:10:31 | Cumul D+ : 2941m | Classement : 145
(17 minutes de retard sur le roadbook)

Et bien content d’être arrivé jusque là !
Ma moitié ne pouvant entrer, patiente à l’extérieur. Lorsque je pénètre dans la cabane de berger, je n’en crois pas mes yeux ! Les bénévoles nous y accueillent, comme à chaque fois avec beaucoup de gentillesse, mais en plus, nous sommes gâtés car devant nous se dresse un ravito 5 étoiles. Jusqu’à présent je n’ai jamais rien vu de similaire sur un trail : Des biscuits, des verrines, des canapés salés, des spécialités d’Auvergne, de beaux saucissons, … L’association organisatrice se met en quatre pour réaliser tous ces mets (hormis les saucissons).

Ultra trail Trans Aubrac - Ravitaillement du buron des Bouals

Ravitaillement du buron des Bouals

Hélas pour moi, compte tenu de mon état, rien de tout ceci ne me fait envie, je ne peux alors que regarder envieux, quelques traileurs se sustenter avec délice de toutes ces gourmandises… Je me contenterai d’une eau gazeuse, d’un verre de cola Auvergnat et d’une soupe. Et pour me permettre de recharger un peu les batteries, je me pose quelques minutes sur un banc blaguant avec quelques concurrents pas beaucoup plus frais que moi tout en dégustant ma soupe.

Les minutes s’écoulant toujours trop vite dans ces moments, il est l’heure de se remettre en route car, premièrement, ma petite femme m’attend toujours à l’extérieur, deuxièmement, je me refroidis, et enfin parce qu’il me reste tout juste 30 kilomètres pour terminer cet ultra. Et autant vous dire, qu’il faut se faire violence…

En sortant, le vent toujours présent me rappelle qu’il serait bon de ne pas traîner car c’est déjà la fin de la journée, et que la nuit risque d’être fraîche. Un nouveau baiser à ma petite femme et je file… en marchant.

Pour ces 30 derniers kilomètres, même si le profil est plutôt descendant, il reste encore quelques beaux raidillons pour un peu plus de 600d+. Je me demande combien de temps il va me falloir pour en terminer. Mais dans l’immédiat, restons concentrés sur l’instant présent et sur les dix prochains kilomètres à venir, ma façon de découper ce qu’il reste à parcourir en distance psychologiquement plus acceptable compte tenu de ma forme.

Un œil rivé sur le cadran de ma montre à scruter la distance parcourue, je m’oblige à relancer systématiquement en descente ou sur le plat, et bien que cela se fasse dans la difficulté, cela a au moins le mérite de faire défiler les kilomètres un peu plus vite.

Sur cette section qui se veut vallonnée, alors que le ciel s’est dévoilé, que le soleil sublime de belle façon le paysage, je me concentre sur la lecture du terrain slalomant entre les obstacles tels les pierres, le terrain en dévers, un franchissement de barrière et sur l’optimisation de la marche lorsque le terrain me contraint à reprendre de l’altitude.

Il faut également déjouer les pièges que sont les nombreuses parties marécageuses, où chaque traileur fait tout son possible pour s’en tartiner le moins possible les pieds. Mais c’est pratiquement mission impossible. Alors que j’ai été rattrapé et dépassé par Johan, et qu’il me devance d’une vingtaine de mètres, je le vois tenter un saut périlleux afin d’éviter de salir un peu plus ses chaussures. Peine perdue, il se loupe et termine à quatre pattes dans la boue, lâchant un juron. Pas de bobos à déplorer, juste un style un peu plus “boueux” Fort de son expérience, je m’applique pour éviter de me retrouver dans la même situation. Du coup, je le rejoins et nous échangeons. Plus habitué à des parcours Alpins, c’est sa 2eme Trans-Aubrac, finisher en 17h en 2019, il s’est fixé comme objectif de terminer en 16h cette année. C’est encore jouable, car il semble plus en forme que moi, mais il ne va pas falloir qu’il traîne de trop !

Alors que nous continuons à progresser, Johan me montre au loin, le sommet d’une côte et me dit : “Passé le sommet, on amorce la descente. Alors, le but du Jeu c’est de ne pas se faire doubler et de doubler ceux qui sont devant !” Cela me fait sourire, j’acquiesce même si je sais pertinemment que c’est loin d’être gagné pour ma part…

Plus loin, nous rattrapons le Nicolas aux bâtons qui me fait part de sa fatigue et de ses jambes qui rechignent à vouloir continuer. Je l’encourage, le plus dur est fait, il faut tenir bon !
A nouveau une intersection où j’ai la joie d’y trouver ma moitié 🙂 Du coup, j’en profite pour m’arrêter quelques secondes, juste le temps de faire un petit point sur la situation et d’un baiser, laissant partir Johan et Nicolas..

Puis, dans la montée qui mène vers le fameux sommet, je rattrape et double Nicolas mais point de Johan en vue, il s’est envolé 😉

Et comme prévu, après avoir franchi le sommet, s’amorce une descente plutôt modérée au début et qui petit à petit se fait plus raide, via une sente, plutôt agréable, en sous bois. J’ai l’impression d’avoir un rythme correct même si je continue de subir. Mes sens en éveil semblent percevoir des bruits de pas, un souffle. Effectivement, je suis rattrapé et doublé par un concurrent. Bon, voilà, ça c’est fait !

Quelques kilomètres plus loin, en longeant une rivière, je retrouve le téméraire Johan, qui tente à nouveau une opération périlleuse, voulant éviter le passage à gué, qui consiste à traverser le lit du cours d’eau profond d’une trentaine de centimètres avec pour seule aide une corde tendue entre deux arbres de chaque rive. Je prendrai l’itinéraire conseillé, un bon bain de pieds saisissant, me provoquant quelques crampes passagères mais qui a le mérite de nettoyer en partie mes chaussures complètement “crottées” ainsi que de me faire profiter d’une petite séance de cryothérapie.
Johan, n’ayant pu éviter le bain de pieds malgré ses précautions, fini par me rejoindre. Nous continuons notre itinéraire, qui pour l’heure, longe toujours la rivière, en sous bois où se mêlent, à nouveau, des parties marécageuses, de quoi vite “recrotter” nos chaussures. Je lui emboite le pas, et, au fur et à mesure, nous rattrapons des concurrents, toujours un petit mot d’encouragement à leur égard lorsque nous les doublons.

Lorsque se présente un “mur”, entendez par là une côte bien raide, Johan toujours en tête, nous doublons, non sans mal, trois traileurs équipés de bâtons. Nous n’arrivons pas à les distancer, ils sont juste derrière moi, alors que je suis moi-même à quelques centimètres des talons de Johan, qui semble accuser le coup. Je lui propose alors de prendre le relais afin de le soulager un peu. Je passe donc en tête du peloton où tous, subissons quelque peu cette montée. J’entends toujours les chaussures, les impacts des bâtons sur le sol, la respiration courte des traileurs qui me suivent. Enfin, au sommet de cette côte, des sections plates me permettent de reprendre la course à une allure correcte alors que le petit groupe se laisse distancer..

De temps à autre, je rattrape et double à nouveau des concurrents. Je me force à manger deux à trois bouchées de mon petit sandwich maison (toujours la fameuse recette du coach) sans toutefois constater d’amélioration de ce côté-là. Cela se révèle bien compliqué, m’obligeant à mastiquer de longues minutes pour faire descendre le peu de nourriture… Mais la bonne nouvelle, c’est que les kilomètres restants jusqu’à l’arrivée diminuent peu à peu.

 

Ultra trail Trans Aubrac 2022 - Chapelle

Le parcours nous fait passer devant cette belle chapelle

Alors que le profil se veut descendant, je passe à proximité d’une petite chapelle, et devant tant de beauté, je m’arrête prendre une photo afin d’immortaliser l’instant. Je suis alors rejoint par un nouveau Bertrand , bien plus jeune, avec qui je reprends le chemin. A ce stade de la course, nous sommes tous, à quelque chose prêt, dans le même état… Cuit ! Mais ce n’est pas le moment de se laisser aller, il faut trouver les ressources pour s’imposer un rythme et tant que l’on y arrive se forcer à courir, voir trottiner car c’est toujours plus rapide et moins démoralisant que de devoir terminer en marchant à observer les heures défiler alors que le kilométrage peine à augmenter…
Je laisse filer Bertrand, qui est plus rapide que moi.

Voilà à présent, que le soleil nous abandonne. Entre chiens et loups, je ressort ma frontale que je positionne sur ma tête, ne voulant prendre le risque de me faire une cheville à quelques kilomètres de l’arrivée. Ce n’est pas la peine de rajouter de la difficulté sur la difficulté !

Ma montre m’indique qu’il reste 10 kilomètres ! Vous qui avez l’habitude de me lire, vous savez ce que cela représente : un réconfort psychologique de savoir que le compte à rebours vient de s’enclencher, le fameux 10, 9, 8, 7,… Voilà qui me redonne la banane sans avoir pour autant plus d’appétit 😉 Je demande à un concurrent tout proche de moi, si c’est bien Saint Geniez d’Olt, tout au loin, dans un creux. Il confirme, c’est bien notre destination finale, mais qui pour l’heure semble encore bien loin…

Relancer encore et encore dans les descentes, sur le plat, dérouler la foulée tout en souplesse, les yeux rivés sur le sol, le cerveau à l’affût de toute information indiquant la moindre anomalie dans la lecture du terrain afin de déjouer les éventuels pièges qui se présenteraient dans le faisceau de la frontale alors que je suis maintenant enveloppé par l’obscurité de la nuit. Et, comme toujours, en trail, après une descente, une nouvelle montée dont il semblerait que ce soit la dernière m’obligeant à repasser en mode marche plus ou moins rapide. Un peu partout, sur ce chemin, des personnes, seuls ou à plusieurs, qui assurent l’assistance de leur traileur, attendent dans le noir avec toujours un petit mot lorsque nous nous rencontrons. C’est encourageant et réconfortant, merci à eux ! Plus loin, alors que j’arrive dans un virage, c’est tout un groupe qui attend patiemment. Concentré sur ma marche, je passe le virage et continue mon ascension lorsque j’entends : “Mon ange ?” Voilà une voix que je reconnais malgré la fatigue, celle de ma moitié, qui me fait à nouveau la surprise d’être là 🙂 Elle m’a reconnu in extremis, dans le noir et malgré ma frontale aveuglante. A nouveau un petit baiser, le dernier avant l’arrivée.

Dans cette montée, seul depuis plusieurs minutes, je guette le moindre morceau de rubalise, afin d’être certain de suivre toujours le bon itinéraire, ne souhaitant pas me rajouter un nouveau détour Je suis alors rejoint par Bertrand (le plus jeune). Et moi, qui le pensais devant… C’est parfait ! Me voilà en bonne compagnie 🙂 Nous conversons sur nos vies respectives et croyez-moi, il n’y a rien de mieux pour faire défiler les derniers kilomètres d’un Ultra plus rapidement. Partager ces moments, avec un concurrent, que l’on ne connaissait pas auparavant, dans la nuit est une expérience enrichissante, un ingrédient de plus dans ce qui fait la magie de ce sport. Et lorsque le terrain s’y prête, nous nous encourageons mutuellement à reprendre la course. Des coureurs nous rattrapent et nous doublent, plus loin nous en doublons d’autres alors que la piste cède sa place au bitume, nous voilà désormais à Saint Geniez d’Olt, à deux petits kilomètres de la ligne d’arrivée.

Et comme toujours, dans ces moments-là, même si le corps entier demande grâce, un regain d’énergie nous permet de relancer, de courir à bon rythme le long du Lot, comme s’il nous poussait des ailes. A cette vitesse, nous arrivons dans un camping et sommes applaudis par une haie de spectateurs, nous avons même droit à une “ola” sur notre passage lorsque nous franchissons la ligne…
Mais il ne s’agit pas de la ligne d’arrivée qui se trouve, en réalité, un peu plus loin et plus haut, nous faisant la joie de quelques mètres de dénivelés positifs en “rab”. Avec Bertrand, nous rions de ce leurre tout en marchant, le temps de passer cette dernière petite grimpette, de relancer une ultime fois et de voir enfin à quelques encablures le fameux gymnase. Accueillis par Philippine tout sourire, quelques mètres avant l’entrée dans le gymnase, Bertrand devant, nous empruntons, le couloir aménagé à l’intérieur, passons devant les spectateurs, et parmi eux Dune, Marine, Sébastien et ma petite femme juste avant le franchissement de cette tant convoitée ligne d’arrivée !

106,5 km – Saint Geniez d’Olt (Samedi 22h05)

Chrono : 16:05:53 | Cumul D+ : 3607m | Classement : 133

Heureux d’en avoir terminé, d’être finisher de cette Trans-Aubrac qui m’aura coûté. Après le 37ème kilomètre, je n’aurai pas parié sur l’hypothèse d’être à l’arrivée de cet Ultra Trail !

Si victoire il y a, c’est uniquement celle de la détermination à lutter contre soi-même, à trouver les ressources nécessaires et à tenir le cap contre vent et marée. Et bien que l’abandon soit d’un réconfort immédiat, il ne l’est jamais avec le recul, laissant s’immiscer le doute sur le prochain challenge, la prochaine difficulté… C’est pourquoi, hors blessure, il faut tout faire pour arriver à bout de l’objectif fixé, et compter sur le mental, même si c’est loin d’être facile.

L’Ultra Trail est un sport exigeant, qui nécessite, pour le moins, une préparation physique à la hauteur de l’objectif, une attention particulière sur l’alimentation avant course, une hygiène de vie rigoureuse surtout lorsqu’on est plus tout jeune et malgré tout, il peut y avoir un jour “sans” où rien ne se passe comme prévu, un peu à l’image de la vie et de ses aléas, et il faut tout simplement l’accepter !

Mais cela ne gâche en rien la chance de pouvoir pratiquer cette discipline, de vivre ces moments de partages avec les concurrents, les bénévoles, d’emprunter ces chemins et d’évoluer au milieu de ces paysages et de cette nature incroyablement belle.

Quant à Marine, que je surnomme désormais “l’épatante Marine” a mené son premier Ultra Trail de plus de 100k avec brio en terminant seconde féminine en 14h18 ! Chapeau bas, elle le mérite 🙂 Ses prochaines courses nous réservent, à n’en pas douter, de belles surprises.

 

Classement

Temps de course : 16:05:53
Classement au général : 133 / 365 arrivants / 475 partants
Classement dans ma catégorie : 21 / 87 arrivants / 116 partants

Remerciements

  • A ma petite femme, une fois de plus, toujours présente surtout dans les moments difficiles
  • A Marine, pour ces kilomètres partagés et à son assistance de choc : Sébastien, Dune & Philippine
  • Au coach Alain Roche, pour ces séances structurées, ses connaissances, ses conseils
  • A Photossports – Thomas Prud’homme,  pour ses superbes photos (photossports.com)
  • A l’organisation, de nous permettre de vivre cette belle aventure
  • Aux bénévoles, pour tout ce que vous faites pour nous !
  • Aux concurrents, avec qui j’ai eu la chance de partager quelques kilomètres
  • Au public, pour tous les encouragements
  • A vous, qui avez pris le temps de lire ce récit (pas plus court que les précédents…)

 

 

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